L’Envers Des Faits – series co-edited with Paul Pasquali (La Découverte, Paris).
Past co-editor (until 2019): Stéphane Beaud
Series available in French
Le genre du capital
Comment la famille reproduit les inégalités
Céline BESSIERE et Sibylle GOLLAC
On sait que le capitalisme au XXIe siècle est synonyme d’inégalités grandissantes entre les classes sociales. Ce que l’on sait moins, c’est que l’inégalité de richesse entre les hommes et les femmes augmente aussi, malgré des droits formellement égaux et la croyance selon laquelle, en accédant au marché du travail, les femmes auraient gagné leur autonomie.
Pour comprendre pourquoi, il faut regarder ce qui se passe dans les familles, qui accumulent et transmettent le capital économique afin de consolider leur position sociale d’une génération à la suivante. Conjointes et conjoints, frères et sœurs, pères et mères n’occupent pas les mêmes positions dans les stratégies familiales de reproduction, et n’en tirent pas les mêmes bénéfices. Fruit de vingt ans de recherches, ce livre montre que le capital a un genre.
Céline Bessière et Sibylle Gollac enquêtent sur les calculs, les partages et les conflits qui ont lieu au moment des séparations conjugales et des héritages, avec le concours des professions du droit. Des mères isolées du mouvement des Gilets jaunes au divorce de Jeff et MacKenzie Bezos, des transmissions de petites entreprises à l’héritage de Johnny Hallyday, les mécanismes de contrôle et de distribution du capital varient selon les classes sociales, mais aboutissent toujours à la dépossession des femmes. Ce livre analyse ainsi comment la société de classes se reproduit grâce à l’appropriation masculine du capital.
Ceux qui restent
Faire sa vie dans les campagnes en déclin
Benoît Coquard
Qui sont ces hommes et ces femmes qui continuent d’habiter dans les campagnes en déclin ? Certains y fantasment le « vrai » peuple de la « France oubliée », d’autres y projettent leur dégoût des prétendus « beaufs » racistes et ignorants. Mais « ceux qui restent » se préoccupent peu de ces clichés éculés. Comment vit-on réellement dans des zones dont on ne parle d’ordinaire que pour leur vote Rassemblement national ou, plus récemment, à l’occasion du mouvement des Gilets jaunes ?
Parmi les nouvelles générations, ils sont nombreux à rejoindre les villes pour les études, puis il y a ceux qui restent, souvent parce qu’ils n’ont pas les ressources nécessaires pour partir. Ceux-là tiennent néanmoins à ce mode de vie rural et populaire dans lequel « tout le monde se connaît » et où ils peuvent être socialement reconnus. Comment perçoivent-ils alors la société qui les entoure ? À qui se sentent-ils opposés ou alliés ?
À partir d’une enquête immersive de plusieurs années dans la région Grand-Est, Benoît Coquard plonge dans la vie quotidienne de jeunes femmes et hommes ouvriers, employés, chômeurs qui font la part belle à l’amitié et au travail, et qui accordent une importance particulière à l’entretien d’une « bonne réputation ».
À rebours des idées reçues, ce livre montre comment, malgré la lente disparition des services publics, des usines, des associations et des cafés, malgré le chômage qui sévit, des consciences collectives persistent, mais sous des formes fragilisées et conflictuelles. L’enquête de Benoît Coquard en restitue la complexité.
Le venin dans la plume
Édouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre de la République
Gérard NOIRIEL
La place qu’occupe Éric Zemmour dans le champ médiatique et dans l’espace public français suscite l’inquiétude et la consternation de bon nombre de citoyens. Comment un pamphlétaire qui alimente constamment des polémiques par ses propos racistes, sexistes, homophobes, condamné à plusieurs reprises par la justice, a-t-il pu acquérir une telle audience ?
Pour comprendre ce phénomène, ce livre replace le cas Zemmour dans une perspective historique qui prend comme point de départ les années 1880, période où se mettent en place les institutions démocratiques qui nous gouvernent encore aujourd’hui. Ce faisant, il met en regard le parcours d’Éric Zemmour et celui d’Édouard Drumont, le chef de file du camp antisémite à la fin du xixe siècle. Car les deux hommes ont chacun à leur époque su exploiter un contexte favorable à leur combat idéologique. Issus des milieux populaires et avides de revanche sociale, tous deux ont acquis leur notoriété pendant des périodes de crise économique et sociale, marquées par un fort désenchantement à l’égard du système parlementaire.
Dans ce saisissant portrait croisé, Gérard Noiriel analyse les trajectoires et les écrits de ces deux polémistes, en s’intéressant aux cibles qu’ils privilégient (étrangers, femmes, intellectuels de gauche, etc.) et en insistant sur les formes différentes que ces discours ont prises au cours du temps (car la législation interdit aujourd’hui de proférer des insultes aussi violentes que celles de Drumont). L’historien met ainsi en lumière une matrice du discours réactionnaire, et propose quelques pistes pour alimenter la réflexion de ceux qui cherchent aujourd’hui à combattre efficacement cette démagogie populiste.
L’œil sécuritaire
Mythes et réalités de la vidéosurveillance
Élodie LEMAIRE
Depuis les années 2000, les caméras de vidéosurveillance et de vidéoprotection ont envahi notre paysage urbain. Cette nouvelle manière de protéger la population fait couler beaucoup d’encre. Or les prismes dominants (sécurité versus liberté) et les images mobilisées (du Panoptique à Big Brother, en passant par Minority Report), en disent plus sur les fantasmes collectifs que sur les réalités concrètes de ce dispositif.
Dans ce récit d’enquête, au plus près des expériences et des représentations des acteurs publics et privés qui utilisent la vidéosurveillance au quotidien, Élodie Lemaire passe au crible les idées reçues sur cet œil sécuritaire, pour mieux en identifier les vrais dangers. En nous faisant pénétrer dans les salles de contrôle et les coulisses des tribunaux, l’auteure montre que les usages de la vidéosurveillance sont loin d’être conformes à sa réputation de « couteau suisse de la sécurité » ou de « reine des preuves ». Mais ces limites cachent d’autres dérives bien réelles, comme la banalisation d’une idéologie qui construit progressivement notre vision sécuritaire du monde social.
La France des Belhoumi
Portrait de famille (1977-2017)
Stéphane BEAUD
Un livre de plus sur les jeunes « issus de l’immigration » ? Pour dénoncer les discriminations qu’ils subissent, sur fond de relégation sociale dans les quartiers « difficiles » ? Et conclure sur l’échec de leur « intégration » dans notre pays ?
Non. L’ambition de Stéphane Beaud est autre. Il a choisi de décentrer le regard habituellement porté sur ce groupe social. Son enquête retrace le destin des huit enfants (cinq filles, trois garçons) d’une famille algérienne installée en France depuis 1977, dans un quartier HLM d’une petite ville de province. Le récit de leurs parcours – scolaires, professionnels, matrimoniaux, résidentiels, etc. – met au jour une trajectoire d’ascension sociale (accès aux classes moyennes).
En suivant le fil de ces histoires de vie, le lecteur découvre le rôle majeur de la transmission des savoirs par l’école en milieu populaire et l’importance du diplôme. Mais aussi le poids du genre, car ce sont les deux sœurs aînées qui redistribuent les ressources accumulées au profit des cadets : informations sur l’école, ficelles qui mènent à l’emploi, accès à la culture, soutien moral (quand le frère aîné est aux prises avec la justice), capital professionnel (mobilisé pour « placer » un autre frère à la RATP)…
Cette biographie à plusieurs voix, dont l’originalité tient à son caractère collectif et à la réflexivité singulière de chaque récit, montre différents processus d’intégration en train de se faire. Elle pointe aussi les difficultés rencontrées par les enfants Belhoumi pour conquérir une place dans le « club France », en particulier depuis les attentats terroristes de janvier 2015 qui ont singulièrement compliqué la donne pour les descendants d’immigrés algériens.
Qui a tué les verriers de Givors?
Une enquête de sciences sociales
Pascal MARICHALAR
Dans la petite ville de Givors, proche de Lyon, des hommes meurent les uns après les autres, emportés par des cancers à un âge relativement jeune. Leur point commun : ils ont travaillé pour produire des bouteilles et des pots à la verrerie qui a fermé ses portes en 2003.
La compagne d’un verrier malade fait alors équipe avec un imprimeur à la retraite pour résoudre ce mystère. Ils comprennent vite que ce ne sera pas une enquête policière classique : c’est à eux de prouver qu’il y a eu un crime, et plus ils avancent vers la vérité, moins la justice semble disposée à juger les faits. Cependant, grâce à la force collective des verriers et de leurs soutiens, ils vont lever progressivement le voile sur un véritable scandale d’État.
Ce livre est une enquête sur cette enquête. Avec les outils des sciences sociales, l’auteur analyse les procédures, les mensonges et les injustices qui font que tous les jours autour du monde des millions de femmes et d’hommes sont mis en danger impunément.
Avec l’immigration
Mesurer, débattre, agir
François HÉRAN
En France, les « problèmes de l’immigration » se succèdent en rafale, dans un débat récurrent attisé par les cycles de la vie politique et en particulier le rythme de la présidentielle : crise des réfugiés, islam et laïcité, droit du sol, double nationalité, regroupement familial, « jungle » de Calais…
Soulignant le progrès des connaissances sur l’immigration, l’auteur réfute les erreurs grossières de certains politiques (Marine Le Pen en tête) et essayistes médiatiques (tel Éric Zemmour). Il revisite la question de la citoyenneté : « droit du sang » et « droit du sol » sont en fait deux versions d’un même droit, le droit du temps. Sans occulter les obstacles à l’intégration, il la montre aussi à l’œuvre, comme dans ce gymnase de banlieue où chacun, sans distinction d’origines et de croyances, vient donner son sang, peu importe à qui.
Au final, une approche sereine et réaliste. Ni pour ni contre l’immigration : avec elle, tout simplement.
Retour de flammes
Les pompiers, des héros fatigués?
Romain PUDAL
D’une popularité rarement démentie, vantés pour leur courage et leur dévouement, les pompiers font partie de notre quotidien. Mais on sait en réalité bien peu de choses de ce métier qui incarne aux yeux de beaucoup l’altruisme dans son sens le plus noble.
Cependant, en incarnant à la fois la « main gauche » (aide et assistance) et la « main droite » (ordre et sécurité) de l’État, en travaillant au contact des plus dures réalités sociales tout en étant eux-mêmes de plus en plus inexorablement précarisés ou mis en danger, les pompiers se retrouvent pris dans un tissu d’injonctions contradictoires dont les implications politiques sont loin d’être négligeables. Si leur valeur cardinale demeure le service public, les pompiers ont néanmoins fort à faire pour résister à un air du temps gestionnaire et réactionnaire qui érode leur éthique faite d’altruisme, d’efficience et de discrétion.
Jeunesses françaises
Bac + 5 made in banlieue
Fabien TRUONG
Ancien prof de lycée dans le « 9-3 » devenu sociologue, Fabien Truong a pendant dix ans – des émeutes de 2005 aux attentats de janvier 2015 – suivi et accompagné une vingtaine d’anciens élèves, du bac jusqu’à la fi n de leurs études. Tour à tour prof, enquêteur, témoin, conseiller et confi dent, il dresse ici le portrait tout en finesse d’une certaine jeunesse française, celle des banlieues populaires issues de l’immigration.
En offrant une véritable plongée dans l’intimité de ces jeunes étudiants en quête d’échappée, ce livre peut se lire aussi comme un récit initiatique, déroulant dans le temps long leurs rêves d’ascension sociale, leurs questionnements identitaires, les peines et les joies de l’apprentissage intellectuel, leur rapport à la religion ou leurs histoires d’amour. Car, dans ces territoires de la République, rien n’est jamais gagné ni perdu d’avance.